Nouvelle définition de la prise illégale d’intérêts ?

Prise illégale d'interêts

Critiquée pour son champ d’application trop grand, l’infraction de prise illégale d’intérêts a été modifiée par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Interrogée sur l’application de cette loi dans le temps, la Cour de cassation estime, par un arrêt du 5 avril 2023, que les dispositions nouvelles sont équivalentes aux dispositions anciennes et donc que l’application de la loi ancienne est sans incidence sur la condamnation prononcée.

Cass. crim., 5 avr. 2023, n°21-87.217

En l’espèce, une commune avait initié un projet permettant à des artisans d’acquérir des parcelles à des prix inférieurs à ceux du marché.

Le conjoint de la directrice générale des services de la commune s’était porté candidat et avait obtenu un des lots proposés.

Le 29 décembre 2016, une promesse de vente fut alors conclue entre le conjoint de la directrice générale des services et la commune représentée par son maire. La promesse « précisait que le lot pouvait être cédé à toute société dont le gérant remplirait à titre personnel la condition d’immatriculation au registre des métiers » (§ 4).

Le 30 décembre 2016, la directrice générale des services et son conjoint créèrent une société sans que la directrice générale des services soit personnellement immatriculée au registre des métiers. Or, le 28 septembre 2017, le maire signa l’acte notarié octroyant le lot, violant la condition posée par la promesse de vente.

Le procureur de la République poursuivit alors la directrice générale des services pour prise illégale d’intérêts, le maire pour complicité et le conjoint de la directrice générale des services pour recel.

A l’époque des faits, la prise illégale d’intérêts était caractérisée par « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement » (C. pén. art. 432-12).

Un appel fut interjeté mais la cour saisie (Grenoble, 23 nov. 2021) confirma la condamnation prononcée en première instance, arguant que l’absence d’intérêt financier n’était pas un obstacle à la caractérisation du délit puisque l’incrimination visait « un intérêt quelconque ».

Par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le législateur ayant par la suite supprimé la mention de « l’intérêt quelconque » au profit de la mention plus précise d’« intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité », et potentiellement plus restrictive, les condamnés formèrent un pourvoi en cassation en se fondant sur les principes régissant les conflits de lois pénales dans le temps.

La Cour de cassation devait ici statuer sur le conflit de lois pénales dans le temps résultant de cette modification de l’incrimination.

Cette question liée à l’application de la loi pénale dans le temps est bien connue et ne pose théoriquement pas de difficulté. Le principe veut que la loi pénale applicable soit la loi en vigueur au moment de la commission de l’infraction. Néanmoins, le Code pénal précise que lorsque les dispositions nouvelles d’une loi pénale de fond sont moins sévères que les dispositions anciennes, la nouvelle loi a vocation à s’appliquer rétroactivement à des faits non encore jugés (C. pén., art. 112-1, al. 3).

La règle impose donc une comparaison de l’ancienne et de la nouvelle disposition pour déduire si la nouvelle loi doit s’appliquer ou non aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée.

Bien qu’aux premiers abords la nouvelle incrimination apparaisse plus restrictive que l’ancienne, la Cour de cassation rend toutefois un arrêt de rejet en précisant que la nouvelle rédaction de l’infraction de prise illégale d’intérêts est équivalente à l’ancienne rédaction.

L’interprétation de la Cour de cassation apparaît logique dès lors que la nouvelle rédaction reprend exactement l’interprétation de l’ancienne rédaction que faisait d’ores et déjà la jurisprudence. De ce fait, la cour d’appel a condamné sur le fondement de l’ancienne rédaction tout en appliquant indirectement la nouvelle

Ainsi, si les critiques portées à l’infraction pouvaient sembler fondées, la nouvelle rédaction apparaît comme une occasion manquée de restreindre effectivement le champ d’application de l’infraction.