Droit à congés payés : mise en conformité du droit français avec le droit européen

Congés payés

S’alignant sur la réglementation européenne, la Cour de cassation a décidé d’écarter partiellement les dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail et juge désormais que le salarié malade acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle et pour accident du travail au-delà d’un an.

Cass. soc., 13 sept. 2023, nº 22-17.340, nº 22-17.638 et nº 22-10.529 B+R

Contrairement au droit européen, le Code du travail ne prend pas en compte, pour le calcul des congés payés :

  • les périodes d’absence pour maladie non professionnelle ;
  • celles pour maladie ou accident d’origine professionnelle au-delà d’un an.

Dès 2013, la Cour de cassation avait alerté les pouvoirs publics sur la nécessité d’une réforme des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail, soulignant qu’ils n’étaient pas conformes à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et à l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Sans intervention du législateur, le juge français ne peut pas, en application de la directive 2003/88/CE, écarter les effets d’une disposition nationale contraire dans un litige entre des particuliers, et donc entre un salarié et un employeur de droit privé (Cass. soc., 13 mars 2013, n°11-22.285).

En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé que l’article 31 § 2 de la Charte précité pouvait être directement invoqué par un salarié dans un litige qui l’oppose à son employeur de droit privé, et que le juge national devait alors laisser inappliquée la réglementation nationale non conforme (CJUE 6 nov. 2018 aff. 569/16).

En l’absence de réaction du législateur, la chambre sociale réunie en formation plénière opère un changement significatif de sa jurisprudence afin d’assurer l’effectivité des droits à congé garantis par le droit européen.

Dans deux arrêts du 13 septembre 2023, publiés au Bulletin des chambres civiles et au Rapport annuel de la Cour de cassation, elle décide d’écarter les règles internes contraires au droit européen. Elle statue que dorénavant, le salarié peut acquérir des droits à congés payés pendant les périodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle ou pour cause de maladie professionnelle ou accident du travail au-delà d’un an ininterrompu.

Acquisition des congés pendant un arrêt de travail pour maladie

La première affaire concernait la question de l’acquisition des congés payés durant une période d’arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle.

L’article L 3141-3 du Code du travail lie le droit au congé à l’accomplissement d’un travail effectif en ces termes : « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. »

Il en résulte qu’en droit interne, les périodes d’absence du salarié ne sont pas retenues pour le calcul du nombre de jours de congés payés, le législateur ayant toutefois tempéré cette règle en assimilant certaines périodes d’absence à du travail effectif.

Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue en raison d’une maladie d’origine non professionnelle n’étant pas assimilées à des périodes de travail effectif, le salarié n’acquiert aucun droit à congés payés au cours de celles-ci en l’absence de dispositions conventionnelles plus favorables.

Or, l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 prévoit un droit à congés payés d’au moins 4 semaines par an, lequel n’est pas affecté en cas d’absence du salarié pour raisons de santé au cours de la période d’acquisition des congés.

Le droit européen n’opère donc aucune distinction entre les salariés absents pour maladie pendant la période de référence et ceux ayant effectivement travaillé pendant la période d’acquisition des congés (CJUE 24 janv. 2012 aff. 282/10).

C’est précisément la logique retenue par la Cour de cassation dans ses arrêts du 13 septembre 2023. Invoquant l’article 31 § 2 de la Charte et la nécessité d’en garantir le plein effet, la Haute juridiction juge qu’il convient désormais d’écarter les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union, et de considérer que les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle acquièrent des droits à congés payés durant cette période.

Acquisition des congés pendant un arrêt de travail pour accident du travail/maladie professionnelle au-delà d’un an

La deuxième affaire (nº 22-17.638) portait sur la problématique de la limitation, dans le temps, de l’acquisition des congés payés par les salariés placés en arrêt de travail pour accident ou maladie d’origine professionnelle.

Aux termes de l’article L. 3141-5 précité, les périodes de suspension du contrat de travail en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle sont assimilées à du travail effectif pour la détermination de la durée du congé, mais uniquement dans la « limite d’une durée ininterrompue d’un an » (C. trav. art. L 3141-5, 5°). Au-delà d’un an, le salarié arrêté n’acquiert plus aucun droit à congés payés.

Là encore, cette limitation entre en contradiction avec la jurisprudence européenne précitée, considérant qu’aucune distinction ne peut être instaurée entre les salariés en situation de maladie et ceux qui ont effectivement travaillé sur la période concernée.

Dans ce contexte, et en suivant la même logique que celle retenue dans la précédente affaire, la Cour de cassation écarte l’application des dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif.

Au visa, toujours, de l’article 31 2 de la Charte des droits fondamentaux, elle juge, dorénavant, que les salariés qui se trouvent en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle pourront acquérir des congés payés pendant toute la durée de leur absence.

Prescription du droit à l’indemnité de congés payés

La troisième affaire portait quant à elle sur la question du point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés en cas de litige.

En la matière, il résulte d’une jurisprudence constante que les congés payés ayant une nature salariale, ils sont soumis à la prescription triennale applicable aux salaires (Cass. soc., 16 déc. 2015, nº14-15.997).

Par ailleurs, la chambre sociale considérait de longue date que le point de départ de ce délai était fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Cass. soc., 14 nov. 2013, nº 12-17.409).

Comme le signale toutefois ce troisième arrêt du 13 septembre, la CJUE a jugé que l’article 7 de la directive nº 2003/88/CE et l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit (CJUE, 22 sept. 2022, nº C-120/21).

Dès lors, et eu égard au droit de l’Union européenne, la Cour de cassation a décidé, là encore, de faire évoluer sa jurisprudence et pose le principe selon lequel il y a lieu de juger, désormais, que la prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.

Pour rappel, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Cass. soc., 21 sept. 2017, nº16-18.898).

Quels impacts ?

S’agissant des périodes de référence antérieures, les employeurs s’exposent à des rappels d’indemnité compensatrice de congés payés, avec la difficulté tenant à l’appréciation du point de départ du délai de prescription.

En ce qui concerne de la période d’acquisition en cours, l’évolution de la jurisprudence conduit à tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés en cours d’acquisition.

Les inquiétudes suscitées par ces arrêts sont réelles et nécessitent d’être appréhendées et anticipées en :

  • modifiant le paramétrage de la paye ;
  • réalisant audit du risque sur les dernières années ;
  • se préparant à une négociation avec les salariés mais aussi et surtout les organisations syndicales, qui aborderont nécessairement le sujet compte-tenu de sa large publication. Il est donc essentiel de connaître le risque associé pour pouvoir l’anticiper et le négocier ;
  • établissant un plan de communication, afin d’expliquer les nouvelles pratiques.

Le cabinet BLR AVOCATS est à votre disposition pour analyser chaque situation et identifier les actions adéquates à mettre en œuvre.