Le droit à la preuve justifie la communication des éléments nécessaires à établir la discrimination

Tribunal

La protection du droit à la preuve d’une discrimination syndicale justifie la communication de pièces indispensables à son établissement, quand bien même cette mesure porterait atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, dès lors qu’elle apparaît proportionnée au but poursuivi.

Cass. soc., 1er juin 2023, n°22-13.238

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juin 2023, 31 élus exerçant des mandats de représentants du personnel au sein de la même entreprise estimaient faire l’objet d’une discrimination en raison de leur activité syndicale.

Ils avaient saisi le 29 janvier 2018 le juge des référés afin d’obtenir la communication d’un large panel d’informations concernant de nombreux autres salariés placés dans une situation comparable sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile.

Pour mémoire, ce texte prévoit que tout intéressé peut, en cas de motif légitime, demander, sur requête ou en référé, que soient ordonnées les mesures d’instruction nécessaires à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

En l’espèce, la cour d’appel avaient fait droit à la demande, ordonnant à l’employeur la communication de l’ensemble des éléments visés. Ce dernier contestait cette mesure en faisant valoir, notamment, que la communication des données personnelles de salariés visés par une mesure d’instruction prévue par l’article 145 du Code de procédure civile doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi.

Selon l’employeur, les bulletins de paie des salariés visés par la communication comportaient des données personnelles qui, n’ayant aucun rapport avec l’objet du litige, n’étaient pas indispensables. Il s’agissait, notamment, de l’adresse postale, du numéro de sécurité sociale, du taux d’imposition, du contenu détaillé des absences, des éventuels congés pour événements familiaux et de la domiciliation bancaire.

La chambre sociale de la Cour de cassation approuve la position de la cour d’appel et rejette le pourvoi. Elle rappelle d’abord qu’au regard du RGPD le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité.

Elle précise ensuite, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, qu’il appartient au juge, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

La Haute Juridiction relève que les juges du fond ont constaté que les 31 salariés concernés, ayant tous des mandats d’élus ou des mandats syndicaux, ont tous connu une évolution de carrière très lente, leur coefficient et leur salaire n’ayant pratiquement pas progressé et qu’ils se trouvaient tout juste dans la moyenne des salaires des salariés classés dans la même catégorie.

Elle souligne également qu’il ressort des constatations des juges du fond que les salariés n’avaient pu obtenir les éléments de comparaison demandés à leur employeur en dépit de l’intervention du syndicat auprès de la direction et des réunions qui s’en sont suivies, de la saisine du Défenseur des droits et de celle de l’Inspecteur du Travail ainsi que d’une mise en demeure.

La Cour de cassation valide ainsi le raisonnement de la cour d’appel ayant retenu que seul l’employeur détenait les éléments demandés et que ceux-ci étaient nécessaires aux salariés pour faire valoir leurs droits, de sorte qu’il convenait d’apprécier si tous les éléments de preuve demandés étaient indispensables et si l’atteinte ainsi portée à la protection de la vie personnelle des autres salariés visés par la comparaison était proportionnée au but poursuivi.

La chambre sociale souligne qu’en procédant à cette recherche, la cour d’appel a pu retenir que, pour effectuer une comparaison utile, les salariés devaient disposer d’informations précises sur leurs collègues dont la situation était comparable et que la communication des noms et prénoms était indispensable et proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire à la protection du droit à la preuve d’une discrimination et que la communication des bulletins de paie avec les indications y figurant était indispensable et les atteintes à la vie personnelle proportionnées au but poursuivi.

Il convient de rappeler que la Cour de cassation s’est plusieurs fois prononcée sur la faculté pour le juge du fond, comme des référés, d’accéder à la demande du salarié visant la communication de documents permettant une comparaison avec certains collègues (Cass. soc., 19 déc. 2012, n°10-20.526 ; 12 juin 2013, n°11-14.458 ; 16 déc. 2020, n°19-17.637) et encore très récemment sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile dans le cadre d’une inégalité de rémunération entre une femme et ses collègues masculins (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-12.492).